Qu’est-ce qu’une psychothérapie aujourd’hui ? Du psychothérapeute au « psybot » : vers une nouvelle définition - 24/11/24
What is psychotherapy today? From psychotherapist to “Psybot:” Towards a new definition
Résumé |
Objectif |
Cent cinquante ans après la naissance du mot dans le lexique anglais, comment, aujourd’hui encore, parler de « psychothérapie » ? Si les objectifs et les méthodes originels du concept de « psychothérapie » apparaissaient simples et génériques, à savoir « soigner par l’esprit », notre psychiatrie et notre psychologie contemporaines ont développé une multitude de « psychothérapies » qui se présentent en général comme distinctes. Difficile pour les patients et leurs familles de s’y retrouver, difficile pour nos internes de psychiatrie et nos mastérisants en psychologie de s’y orienter, difficile pour nos autorités administratives de s’y investir.
Méthode |
Comme elles nous apparaissent fondamentales à l’essence-même et à l’avenir de la notion de « psychothérapie », afin d’en approcher sa définition, nous convoquons les sciences du langage : (i) lexico-bibliographique en analysant la littérature scientifique des bases de données internationales et, plus globalement, le langage spécialisé psychologique et psychiatrique ; (ii) psycholinguistique en référence aux sciences cliniques du langage ; (iii) linguistique informatisée comme nous y invite le déploiement récent de l’intelligence artificielle pour l’espace de la santé mentale autant sur les plans diagnostiques que thérapeutiques, avec l’émergence des psybots. Notre objectif final sera de proposer une synthèse, une redéfinition de la notion de psychothérapie pour la psychiatrie et la psychologie clinique contemporaines.
Résultats |
La majorité des sources retiennent une large indication aux psychothérapies, à la fois destinées à apaiser les maladies psychiatriques, les troubles psychologiques et psychosomatiques, les souffrances existentielles. Les notions d’inconscient et de prise de conscience, la place des langages verbaux et non verbaux, l’importance de la relation patient–praticien sont en majorité retenues. L’approche corporelle et les psychothérapies collectives ne sont mentionnées que plus aléatoirement. L’organisation des séances n’est évoquée que rarement, tout comme le statut du thérapeute ou l’idée que la singularité de celui-ci s’avère un élément central du traitement. La mention d’une nécessité de formation spécifique du praticien est davantage abordée, tout comme la possibilité d’association de la psychothérapie à des thérapeutiques pharmacologiques ou environnementales. Concernant l’évaluation du traitement, la définition d’objectif (global ou focal) n’est mentionnée que plus incidemment, tout comme l’intérêt d’une validité scientifique avec notamment, la prise en compte du risque d’effets indésirables.
Discussion |
La notion dynamique de processus ou de mécanismes thérapeutiques n’est que peu évoquée or, l’étude des processus de changement pourrait participer à la définition des psychothérapies. L’évaluation des pratiques psychothérapeutiques serait à même de fédérer « la psychothérapie » à partir d’un socle commun et, s’appuyant sur celui-ci, d’ouvrir aux spécificités éventuelles « des psychothérapies » en fonction de leurs indications et/ou de leurs méthodes. Si de considérables investissements ont été placés dans l’évaluation des psychothérapies et dans les neurosciences, ils n’ont en 25 ans guère modifié la pratique psychothérapeutique de terrain et n’ont pas identifié, dans ce champ, de biomarqueurs spécifiques. Or parallèlement, depuis trois ans, des linguomarqueurs se développent à vitesse vertigineuse pour l’espace de la santé psychique, invitant les sciences du langage à mieux saisir la notion de psychothérapie, en particulier par l’analyse interlocutoire. Le développement des modèles logiciens, les méthodes d’intelligence artificielle, le tout doublé de l’augmentation exponentielle de la force de calcul d’ordinateurs personnels, ouvre la voie à un traitement automatisé du langage appliqué à la psychothérapie. Les intelligences artificielles commencent à identifier des linguomarquers en santé mentale tout en se donnant pour objectif de créer des soins scientifiquement évalués par des psybots.
Conclusion |
Qu’est-ce que la psychothérapie aujourd’hui ? Avec l’objectif d’un mieux-être, la psychothérapie est un ensemble de méthodes qui peuvent diversement s’associer dans le but d’apaiser les maladies psychiatriques, et/ou les troubles psychologiques, et/ou les souffrances existentielles. Les objectifs thérapeutiques et les moyens construits pour « faire aller mieux » sont le plus souvent concertés entre le patient avec sa demande de soins (ou nécessitant des soins sans consentement le cas échéant), d’une part, et le praticien qui y répond, d’autre part. Les thérapies peuvent être collectives en réunissant plusieurs patients (thérapies de couple, familiales, de groupe comme dans un débriefing par exemple) et, un ou plusieurs praticiens (co-thérapeute, psychothérapie institutionnelle). L’évaluation diagnostique médicopsychologique reste interdépendante des soins. Si les psychothérapies sont majoritairement efficaces, dans l’état actuel des connaissances scientifiques, les concepts théoriques sur lesquels se basent les psychothérapies (courants psychanalytiques, cognitifs, humanistes, existentiels, etc.) ne semblent pas strictement en adéquation avec les pratiques connues sous le même vocable et qui peuvent s’associer voire s’intégrer entre-elles, spontanément ou de manière formalisée. Une tendance actuelle consiste à considérer les domaines thérapeutiques existants comme des outils thérapeutiques. L’expression et l’association verbale, l’exposition, la prise de conscience corrélative à la reconstruction de représentations, la mise en pratique des volontés de changement, apparaissent comme de grands cadres structurants les psychothérapies. En d’autres termes, les psychothérapies possèdent des facteurs d’efficacité communs à toutes, et des facteurs spécifiques à chacune, ces derniers méritant d’être mieux axiomatisés. Le risque d’effets indésirables doit être pris en compte (aggravation de comportements d’évitement, re-traumatisation, majoration de traits de personnalité passifs-dépendants, etc.). Pour toute psychothérapie, la place du langage verbal apparaît prédominante, y compris en l’absence de langage vocalisé, comme lors de l’association à d’autres formes d’expression tels les arts picturaux, l’expression corporelle ou théâtrale, la relation avec un animal. Une psychothérapie est principalement constituée par une interaction monologique (avec soi-même) et dialogique (avec un clinicien) qui apaise les souffrances humaines grâce à des actions verbales permettant d’harmoniser les réseaux de représentations. Elle est scientifiquement caractérisable (et donc évaluable) par des linguomarqueurs lexico-sémantiques, syntaxiques et pragmatiques. Mais dans le même temps, la pratique de tout thérapeute lui est singulière autant qu’elle cherche à s’adapter à la singularité du patient et donc, ne s’inscrit pas uniquement dans une logique de normativité, au contraire. Les psychothérapeutes (médecins et psychologues pour la plupart) sont spécialement formés à la pratique psychothérapeutique et respectent les cadres réglementaires et déontologiques de leur profession. Dans l’idéal, ils devraient bénéficier d’une supervision, particulièrement dans les situations où le patient ne peut guère choisir son praticien (dans un camp de personnes réfugiées, en milieu militaire opérationnel, etc.). Le traitement est habituellement organisé en séances dont la durée et le rythme sont adaptées à la problématique. Les séances de thérapie peuvent, selon les modèles médico-économiques de chaque pays, être remboursées partiellement ou totalement. Une psychothérapie peut s’associer à d’autres dimensions thérapeutiques, notamment pharmacologiques (médicaments antidépresseurs, régulateurs de l’humeur, etc.), neuropsychologiques (remédiation cognitive essentiellement), environnementales (règles hygiénodiététiques, congé de maladie, etc.). De plus en plus, des robots conversationnels ou psybots proposent une offre de soin basique et complémentaire destinée à la régulation émotionnelle, la sophrologie, l’observance thérapeutique, etc. La psychothérapie reste une notion anthropologique, difficilement définissable en quelques phrases, autant qu’elle vise à apaiser les tourments issus de la nature humaine, dans son entièreté philosophique, mais également les tourments singuliers intimes à chaque être dont le cerveau et les réseaux de représentations demeurent uniques. Les tensions issues de nos réseaux de représentations les caractérisent au point de pouvoir être considérées comme homéostatiques, si elles ne font pas souffrir. La psychothérapie nécessite ainsi cette adaptation permanente, cette intelligence co-constructive avec le patient, et dont l’explicitation avancée des résultats ne sera jamais totalement certaine car c’est par cette création continue-même, toujours instable, toujours en devenir, y compris les soins parachevés, que se construit la psychothérapie.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Abstract |
Objective |
One hundred and fifty years after the word first appeared in the English lexicon, how can we still talk about “psychotherapy” today? While the original aims and methods of the concept of “psychotherapy” appeared simple and generic, namely “to heal through the mind,” our contemporary psychiatry and psychology have developed a multitude of “psychotherapies”, which generally present themselves as distinct. This makes it difficult for patients and their families to find their way around, difficult for our psychiatric interns and psychology master's students to orient themselves, and difficult for our administrative authorities to get involved.
Method |
As they appear to us to be fundamental to the very essence and future of the notion of “psychotherapy,” in order to approach its definition, we call upon the language sciences: (i) lexico-bibliographical, by analyzing the scientific literature in international databases and, more generally, specialized psychological and psychiatric language; (ii) psycholinguistics, with reference to the clinical sciences of language; (iii) computerized linguistics, as the recent deployment of artificial intelligence in the field of mental health invites us to do, at both diagnostic and therapeutic levels, with the emergence of psybots. Our final objective will be to propose a synthesis and redefinition of the notion of psychotherapy for contemporary psychiatry and clinical psychology.
Results |
The majority of sources indicate that psychotherapy is widely used to treat psychiatric illnesses, psychological and psychosomatic disorders, and existential suffering. The notions of the unconscious and awareness, the place of verbal and non-verbal languages, and the importance of the patient–practitioner relationship are the most widely accepted. The somatic approach and group psychotherapy are mentioned less frequently. The organization of sessions is rarely mentioned, as is the status of the therapist or the idea that the therapist's uniqueness is a central element of the treatment. The need for specific training for the practitioner was mentioned more often, as was the possibility of combining psychotherapy with pharmacological or environmental therapies. With regard to the evaluation of treatment, the notion of defining an objective (global or focal) is mentioned only incidentally, as is the importance of scientific validity, in particular taking into account the risk of undesirable effects.
Discussion |
The dynamic notion of therapeutic processes or mechanisms is rarely mentioned, yet the study of change processes could help to define psychotherapies. The evaluation of psychotherapeutic practices would be capable of federating “psychotherapy” on the basis of a common foundation and, building on this, opening up to the possible specificities of “psychotherapies” according to their indications and/or methods. Although considerable investment has been made in the evaluation of psychotherapies and in neuroscience, over the last 25 years there has been little change in psychotherapeutic practice in the field, and no specific biomarkers have been identified. At the same time, over the last three years, linguomarkers have been developing at breakneck speed in the field of psychological health, inviting the language sciences to gain a better grasp of the notion of psychotherapy, in particular through interlocutory analysis. The development of logician models and artificial intelligence methods, coupled with the exponential increase in the computing power of personal computers, is paving the way for automated language processing applied to psychotherapy. Artificial intelligences are beginning to identify biomarkers in mental health, with the aim of creating scientifically evaluated care by psybots.
Conclusion |
What is psychotherapy today? With the aim of improving well-being, psychotherapy is a set of methods that can be combined in various ways to alleviate psychiatric illnesses and/or psychological disorders and/or existential suffering. The therapeutic objectives and the means devised to “make people feel better” are most often agreed between the patient requesting treatment (or requiring treatment without consent when legally applicable) and the practitioner who responds. Therapies may be collective, bringing together several patients (couples therapy, family therapy, group therapy such as debriefing, for example) and one or more practitioners (co-therapist, institutional psychotherapy). Medical diagnosis and psychological assessment remain interdependent with care. While most psychotherapies are effective, given the current state of scientific knowledge, the theoretical concepts on which psychotherapies are based (psychoanalytical, cognitive, humanist, existential, etc.) do not seem to be strictly in line with the practices known under the same name, which may be associated or even integrated with each other, either spontaneously or in a formalized way. A current trend is to consider existing therapeutic areas as therapeutic tools. Expression and verbal association, exposure, awareness correlating with the reconstruction of representations, and putting into practice the will to change, appear to be the main frameworks structuring psychotherapies. In other words, psychotherapies have factors of efficacy that are common to all of them, and factors that are specific to each, the latter deserving to be better axiomatized. The risk of undesirable effects must be taken into account (aggravation of avoidance behavior, re-traumatization, increase in passive-dependent personality traits, etc.). In all psychotherapy, the role of verbal language appears to be predominant, even in the absence of vocalized language, such as when associated with other forms of expression such as the pictorial arts, bodily or theatrical expression, or a relationship with an animal. Psychotherapy consists mainly of monological interaction (with oneself) and dialogical interaction (with a clinician) that alleviates human suffering through verbal actions that harmonize networks of representations. It can be scientifically characterized (and therefore evaluated) using lexical-semantic, syntactic, and pragmatic linguomarkers. But at the same time, every therapist's practice is singular in that it seeks to adapt to the patient's uniqueness, and therefore does not fit solely into a logic of normativity, on the contrary. Psychotherapists (mostly doctors and psychologists) are specially trained in psychotherapeutic practice and respect the regulatory and ethical framework of their profession. Ideally, they should benefit from supervision, particularly in situations where the patient has little choice of practitioner (in a refugee camp, in an operational military environment, etc.). Treatment is usually organized in sessions, the length and pace of which are adapted to the problem. Depending on the medical and economic model in each country, therapy sessions may be partially or fully reimbursed. Psychotherapy can be combined with other therapeutic approaches, particularly pharmacological (antidepressants, mood regulators, etc.), neuropsychological (mainly cognitive remediation) and environmental (dietary hygiene rules, sick leave, etc.). Increasingly, conversational robots or psybots are offering basic and complementary care for emotional regulation, sophrology, therapeutic compliance, etc. Psychotherapy remains an anthropological notion, difficult to define in a few sentences, in as much as it aims to soothe the torments arising from human nature, in its philosophical entirety, but also the singular, intimate torments of each being whose brain and networks of representations remain unique. The tensions arising from our networks of representations characterize them to such an extent that they can be considered homeostatic, if they do not cause suffering. Psychotherapy therefore requires this permanent adaptation, this co-constructive intelligence with the patient, the results of which can never be totally certain, because it is through this very continuous creation, which is always unstable, always in the process of becoming, even when the treatment has been completed, that psychotherapy is constructed.
Le texte complet de cet article est disponible en PDF.Mots clés : Psychothérapie, Intelligence artificielle, Chatbot thérapeutique, Évaluation des psychothérapies, Traitement automatisé du langage
Keywords : Psychotherapy, Artificial intelligence, Therapeutic chatbot, Evaluation of psychotherapies, Automated language processing
Plan
Vol 89 - N° 4
P. 749-792 - décembre 2024 Retour au numéroBienvenue sur EM-consulte, la référence des professionnels de santé.
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